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exposition à la galerie HERVE ODERMATT EN 1975
Hommage à ANDRE PIEYRE DE MANDIARGUES
Dessiner est plus difficile que peindre, sans doute. Ecrivant cela, je sais qu'à bien des gens mon opinion paraîtra discutable. Pourtant j'y tiens, et je crois que dans la peinture, comme dans la sculpture, il n'est pas malaisé aujourd'hui de faire illusion en étalant sur une toile des couleurs à l'huile ou des couleurs acryliques, comme en maniant de la glaise ou du plâtre ou en assemblant des ferrailles pittoresque par le moyen de l'attirail à souder. Peintres, sculpteurs contemporains, renommés même, combien y en a-t-il qui sachent dessiner ? Peu. Tandis que tous les enfants très jeunes font des dessins qui nous émerveillent, aussi longtemps qu'ils ne sont pas conscients de dessiner et de tracer des traits... La conscience du trait est l'épreuve impitoyable qui empêche de dessiner la plupart des artistes modernes.
A la manière de Hans Bellmer, qui est le seul artiste de notre époque auquel il nous vienne à l'esprit de la comparer, la jeune Shirley Carcassonne est une possédée du trait, à tel point que ses travaux semblent se prolonger dans l'espace au delà des dimensions, parfois très grandes, des feuilles qu'elle emploie, et qu'ils suggèrent un univers onduleux et rayé qui ne serait bâti que de lignes. Consciente du trait, elle l'est, oui, si démesurément que ses vagues de formes finement tracées déferlent devant nous comme celles d'une mer agitée sur une plage unie, et qu'elles nous fascinent en nous étourdissant. Ainsi, je crois, ont-elles fasciné Shirley pendant la création, lui ont-elles tourné la tête. Impression par le fait de laquelle, accroché comme je suis par ce trait sensuel et pur qui ne cesse de courir à la poursuite de lui-même, j'évoque ici des vagues de plaisir, je me permets, dans cet art étrange et captivant, d'imaginer une mer de plaisir où la jeune artiste voudrait entraîner ses voyeurs à la suite de son plongeons.
Alors les lignes d'ondes des grands dessins de Shirley Carcassonne deviennent des mailles de filets jetés sur nous qui regardons. Les vagues de plaisirs, en s'écrasant sur le plan des feuilles de papier nacré, deviennent des épures de toiles d'araignées où vont de prendre les mouches que peut-être nous sommes. La tentative de l'artiste s'avoue dépourvue d'innocence. Comme chez Hans Bellmer, comme chez Beardsley, comme chez les fous du trait qu'ont été les grands Japonais du XVIIIè siècle, un certain aspect de perversion, auquel nous n'avions pas songé tout d'abord, se découvre chez Shirley Carcassonne. Est-il besoin que j'ajoute que je ne vois là qu'un motif supplémentaire d'intérêt et d'admiration ?
Quand elle n'est pas en proie à la possession du dessin Shirley Carcassonne exerce un curieux métier, qui est celui d'anesthésiste et qui consiste à piquer dans une veine du patient étendu sur la table d'opération ou à lui faire aspirer un poison subtil par l'effet duquel il tombera dans un état de fausse mort que l'on appelle aussi narcose. L'anesthésiste, ensuite, se tient debout à la droite du chirurgien qui plonge des instruments d'acier dans le corps inanimé, et elle tâte le pouls de celui-là pour surveiller le menu fil de sang où demeure tout le reste de la vie. Ce fil de sang est une ligne fragile, un trait, au profil parfois saccadé, et la vigilance de l'anesthésiste est seule à le suivre comme de l'oeil sur une feuille blanche et à l'empêcher de s'interrompre. Mais le désir de la dessinatrice est-il vraiment que le trait d'encre ou de sang soit sans fin prolongé ? Et le désir de l'anesthésiste est-il vraiment que la vie ne sorte pas du cadre de la feuille dans lequel il se trace ?Et la fausse mort des patients de Shirley, comme celle des poupées de Bellmer, est-elle dessinée plutôt sur le drap d'un lit d'amour ou sur un funèbre linceul ? En vérité, Shirley nous le fait voir une fois de plus, le dessin est un art où l'ingénuité ne règne pas longtemps.
ANDRE PIEYRE DE MANDIARGUES
1975
Maison des Arts d'Evreux
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Brochure de l'expo |
En parcourant à pas feutrés
les dessins à l'encre ou au cravori de Shirlev, qui
quelquefois ressemblent à des cahiers intimes, tant
ils exigent d'être observes avec tout le recueillement
nécessaire, on est frappé par la légèreté
de ses formes presque toujours en mouvement et quelque peu
fantomatiques. Si ces fleures vivantes conservent un aspect
organique - on pense à des réseaux de muscles,
à des faisceaux de
nerfs, des ramifications arborescentes - elles parais- sent
toutes soumises à une volonté indomptable et
portées à l'autonomie, à l'élévation
sans limites vers des splières indéfinissables.
Salué par de grands poètes et d éminents
scientifiques, l'œuvre sur papier de Shirlev ne cesse
de vous prendre de court. On sent que quelque chose d'essentiel
s y déroule, s y développe, tel un écheveau
libre de toute entrave.
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C'est la crinière d une cavale galopant
sur une lande venteuse, une apparition fugitive. Tout n'y
tient qu àun fil dont la tension pourrait rapidement
conduire à la rupture et a l'envoi irrémédiable
de cette penséefurtive et ondoyante.
Voici ce qu'en dit Mandiargues : «
Consciente du trait, elle l'est, oui. si démesurément
que ses vaguesde formes finement tracées déferlent
devant nous comme celles d'une mer agitée sur une plage
unie, etquelles nous fascinent en nous étourdissant.
»
Claude Rov fut. lui aussi, fasciné
par la texture des travaux de Shirlev : « L'univers
fantastique de cette folle de dessin a la même rigueur,
dans le tracé nerveux de ses nervures, que les mouvements
flexueux des algues, que l'étoilement des lamelles
de champignons, que les striures de 1 agate ou de la cornaline,
que le réseau cellulaire des feuilles de fougère
ou que le tissu des muqueuses vivantes. » Ajoutons qu'elles
nous font songer aux synapses, ces fibres neuronales qui déterminent
une certaine part de notre fonctionnement. Il n'est pas étonnant
que le neurologue Jean-Pierre Changeux se soit intéressé
de près à la recherche de Shirlev. « L"
artiste ne figure pas le réel, a-t-il écrit,
il figure ce qu'il se représente être le réel
cérébral »...« Shirlev Carcassonne.
dans un combat sans cesse renouvelé, commente-t-il.
tente de concilier par 1 inspiration, de mettre en harmonie.
l'expérience individuelle du plaisir subjectif de l'image
et les exigences de la raison. Le tableau n'est pas seulement
représentation de chimères mais construction
imagée, fidèle à 1 exempinm. propice
à une communication intersubjective efficace qui rencontre
les intentions du spectateur. »
Luis PORQUET
Février 2005
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Trace stable |
Les données les plus récentes
de la science nous donnent-elles des images objectives de
cette imagerie subjective que le peintre transmet par son
art? La caméra à positon dévoile une
géographie nouvelle de territoires cérébraux
où. ici des ensembles de neurones s'allument, là
s'éteignent : paysages fugitifs où se distinguent
les aires occipitales lorsque les veux s ouvrent, les aires
temporales lorsque le dialogue verbal s'établit...
le cortex frontal lorsque la réflexion 1 emporte sur
la perception. Cette région antérieure du cerveau
devient particulièrement active lorsque, a 1 occasion
du sommeil, les rêves envahissent le cerveau. Le déchiffrage
des paysages cérébraux se heurte à des
difficultés, surmontables certes, mais encore mal maîtrisées.
La résolution dans 1 espace ne descend guère
au-dessous de quelques millimètres mais le «
grain » d'activité, le neurone, est 10 à
100 fois plus petit. La résolution dans le temps n'est
guère meilleure : elle est encore loin d'atteindre
le dixième de seconde des temps psychologiques. Les
images que donne la machine sont encore très frustres
comparées aux « états matériels
qualitatifs », aux « qualia », si chers
au philosophes.
Jean-Pierre CHANGEUX
ARTICLE DE PRESSE
L'univers singulier de Shirley Carcassonne.
Définir Shirley Carcassonne comme une «simple"
plasticienne ne nous semble pas opportun. Issue du monde scientifique,
elle a longtemps accompagnera souffrance des autres en univers
hospitalier et porte une attention particulière à
l'écriture,surtout quand il s'agit d'essais ou de poésie.
On ne saurait donc (l'enfermer dans une formule convenue.
Honorée par tes signatures de Mandiargues, grande figure
du surréalisme, de Claude Roy, poète, et Jean-Pierre
Changeux, éminent spécialiste de la biologie
moléculaire, elle a, en tant qu'illustratrice (mais
le mot pour nous semble faible), collaboré à
de nombreux ouvrages et revues de haut niveau. De fait, elle
s'intéresse au corps, à la neurologie et aux
affects. Travaillant sur différents supports, elle
opère aussi bien à l'acrylique et à l'encre
sur de grandes toiles de coton, qu'à l'encre de Chine
sur de beaux papiers fabriqués à la main. Son
ancien métier (induction à l'anesthésie)
n'est en rien étranger à sa pratique artistique.
Entre les deux domaines, il n'y a pas, comme on dit. solution
de continuité. Chacun sait que tout art est aussi une
thérapie, qui ne doit pas cependant se cantonner à
ses aspects "pathologiques". Shirley le démontre
par sa jovialité et sa force de caractère. Shirley
Carcassonne à la Maison des Arts d'Evreux. La nouvelle
a tout de suite retenu notre attention. Shirley, dont nous
suivons le travail depuis plus d'un an et demi, fait partie
de ces artistes qui ne font guère de bruit autour de
leur démarche. Ils ont tant besoin de silence, de recul
et d'introspection , que l'agitation médiatique n'est
pas vraiment leur fort. Tenter de définir le travail
de Shirley Carcassonne n'est pas une tâche facile, tant
ses motivations tirent leur substance de substrats aussi différents
que la biologie, l'univers médical, la poésie
et une certaine forme de recherche spirituelle (aux antipodes,
précisons-le, de l'agaçante tendance «new
âge» qui se conjugue à toutes les sauces).
Shirley Carcassonne, c'est d'abord une femme qui a vu de
près la souffrance et a tenté, à son
niveau, de soulager les autres en les accompagnant avec humanité.
Ouverte à tout et ne manquant jamais d'humour, elle
n'est pas d'une nature à se laisser impressionner par
le premier venu (l'un de ses oncles est membre de l'Académie
des Sciences). Le travail qu'elle présente à
la Maison des Arts d'Evreux est une manière d'hommage
dédié à des gens qu'elle vénère,
comme Jean-Pierre ( Changeux, grand spécialiste en
biologie moléculaire à qui l'on doit la découverte
du récepteur de l'acéthylcholine, ou Santiago
Ramon y CAJAL, pour son travail sur les neurones (continuité-contigùité).
S'intéressant à la physique et la chimie,
qui nous font déboucher sur un monde en perpétuel
changement (nous sommes tout près du taoisme et du
bouddhisme), Shirley Carcassonne s'attache donc à nous
montrer plusieurs aspects de son travail, en privilégiant
le grand format. Elle est aussi l'auteur d'ouvrages entièrement
réalisés à la main en tirages très
limités. On peut approcher son travail sur le site
www.normandie.frane.com (Shirley Carcassonne).
En attendant, nous vous convions à venir à
sa rencontre. N'hésitez pas à faire le déplacement.
D'une teneur très contemporaine, sa démarche
mérite également l'attention des «professionnels»
que l'on a parfois bien du mal à faire sortir de leur
structure.
LES AFFICHES NORMANDES
Les
beaux rêves de l'infirmière anesthésiste
Infirmiere, anesthésiste et artiste, Shirtey
Carcassonne explore pour noue les beautés sublimes
du cerveau.
Que ce soit dans les hôpitaux parisiens, de Lisieux
ou de Vernon, on n'estourbit pas les malades pendant 40 ans
sans impunité ! Infirmière anesthésiste,
Shirley Carcassonne n'a pas plongé dans le sommeil
artificiel des certaines de patients sans que cette "petite
mort" ne lui pose des questions. Des questions du genre
:
« Qu'est-ce qui se passe dans le cerveau quand
deux êtres s'étréignent par exemple?»
Et plutôt que d'y répondre à l'instar
des neurobiologistes qu'elle fréquentait, elle l'a
fait par le chemin de l'art.
«Chacun son starter. J'ai trouvé ma nie
en 1973» se souvient Shirley Carcassonne. Sur
de grandes toiles non tendues comme des indiennes ou des dazibaos,
elle jette ses couleurs et dessine à la plume des arborescences,
des réseaux, des imbrications, des flux, des ruptures...
qui évoquent le graphisme et l'activité des
neurones de notre cerveau.
«Cela montre, bien que les objectifs soient
apparemment opposés — chacun pensant par habitude,
par romantisme ou par paresse mentale que l'art et la science
sont inconcilliables - Que des rencontres sont possibles»
soulignait lors du vernissage, Maurice Maillard, directeur
de la Maison des arts.
Née à Montauban en dépit de son nom
et d'un prénom d'outre Manche, résident à
Vernon, l'infirmière devenue artiste a connu un parcours
fulgurant qui lui a donné l'occasion de rencontrer
de grands poètes et savants de notre temps comme le
neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, passionné de
peinture, qui écrit: «Le déchiffrage
des paysages cérébraux se heurte à des
difficultés, surmontables certes, mais encore mal maîtrisées.»
Tandis que le neurone travaille à des échelles
de temps et d'espace 10 à 100 fols plus petites que
nos meilleures machines, te savant se crève les yeux
sur des images « très frustes ».
L'artiste, lui, voit tout du bout des doigts. Et il n'est
cependant pas nécessaire de se prendre la tête
entre les mains pour saisir la qualité plastique de
l'oeuvre légère et onirique de l'infirmière...
Ph. Humez
Pour
cette ancienne infirmière anesthésiste, le corps
humain est un vaste champ de création poétique.
Shirley Carcassonne expose des grands et moyens formats jusqu'au
30 juillet à la Maison des arts. Cette artiste explique
que son goût pour le dessin remonte à l'enfance.
Au moment de consolider sa carrière professionnelle,
sa passion a, cependant, connu un coup d'arrêt. "En
1973, dit-elle, tout rejaillit à l'exemple
d'une source qu'on aurait trop longtemps contenue."
Shirley Carcassonne n'arrête plus de peindre. Des éléments
du réel mutent sous sa main experte en de splendides
variations de couleurs. "On est frappé
par la légèreté de ses formes presque
toujours en mouvement et quelque peu fantomatiques. Si ces
figures vivantes conservent un aspect organique - on pense
à des réseaux de muscles, à des faisceaux
de nerfs, des ramifications arborescentes - elles paraissent
toutes soumises à une volonté indomptable",
écrit le critique, Luis Porquet, qui présente
à l'occasion de cette exposition des poèmes
illustrés de dessins de Shirley Carcassonne sous le
titre "Les lèvres du vent".
C'est à la demande da Jérôme Tisserand
, chargé des affaires culturelles de la ville d'Evreux,
et de Maurice
Maillard, directeurdela Maison des Arts, que Shirtoy Carcaaaonne
a décidé d'y faire une exposition.
Des qu'on entre, on est un peu sous le choc. Surtout si l'on
n'a pas l'habitude de ce genre de visions. Au départ,
elles paraissent chaotiques, l'on se rend difficilement compte
du cheminement artistique de l'auteur.
Une petite conversation avec l'artiste s'impose...
Unir science et art
La peinture est te domaine de prédilection de Shirtey
Carcassonne depuis sa jeunesse. Et pas seulement... Longtemps,
la poésie l'inspirait.jusqu'à ce que la science
lasse son entrée en scène. Pas des moins speclaculaires
! Au risque de paraîtro réducteur et. quelque
peu menteur, l'on classerait ses oeuvres parmi l'art abstrait.
Pourtant, l'inspiration de l'artiste est bel et bien concrète,
matérielle.
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L'homme neuronal |
L'artiste s'exprime en ces mots: "C'est à
la lecture du livre de mon ami d'adolescence, Jean-Pierre
Changeux, L'homme neuronal, que j'ai eu un choc... neuronal,
que j'ai commencé à peindre ces toiles. J'ai
récupéré le manuscrit avant que sa secrétaire
ne le mette définitivement à la poubelle. Après
chaque chapitre que le lisais je dessinnais."
Le livre, à présent exposé à la
BNF, ainsi que vingt-cinq dessins qui l'illustrent, a été
publié en 1983. Dans un style à la fois très
spontané et très précis, Shirley Carcassonne
a poursuivit son oeuvre en essayant de capter "l'appréhension
et la sensibilité de chacun". Outre des
toiles elle a exposé, dans une petite vitrine, les
Cahiers paravents
du poète espagnol Luis Porquet, qu'elle a illustrés.
Poésie médicale
Les titres sont évocateurs par leur référence
aux sciences médicales, notamment neurophysiologiques
: Impulsions nerveuses. Trois récepteurs
de l'acétychloline... L'évocation "terminologique"
ne suffit pas à donner leur sens aux peintures, "Les
cellules, les neurones, ect. sont représentes",
comme le souligne le professeur Changeux, venu encourager
son amie. "Ses toiles me rendent enthousiaste,
c'est absolument magnifique. Ça montre à la
fols la constance dans le style et l'innovation, très
libre et extrêmement soignés, de sorte qu'on
a l'impression d'un dialogue entre le détail et l'ensemble",
ajoute-t-il. "Puis l'on ressent le dynanisme, la fougue
dans cette reconstitution imaginaire. L'artiste dit ce qu'elle
voit dans le cerveau avec sa vision poétique de l'univers
médical. Ce qui est intéressant dans cette démarche,
c'est que l'artiste trouve l'inspiration dans la recherche
et la science contemporaines. A ma connaissance, peu, voire
aucun peintre n'a fait de recherche artistique sur la biologie."
En résumé, Shirley Carcassonne est une pionnière
à sa manière. Elle est sans doute la première
artiste à s'inspirer de la biologie et de ses travaux...
Déformation professionnelle ? Comme la physique et
la chimie, la peinture et la poésie "constituent
des mondes en perpétuel changement"... et qui
se complètent.
Que Shiriey Carcassonne dédie une partie de cette
exposition à Santiago Ramon y Cajal éclaire
d'emblée le parcours qu'elle entend suivre depuis toujours
: concilier la science, les arts plastiques et la poésie.
De sa formation d'anesthésiste, Shiriey Carcassonne
garde le goût des sciences et en particulier des sciences
qui touchent au plus profond de l'être, à ce
qui se passe dans la « machine humaine » qui génère
conscience, intelligence, émotion, mouvement, mémoire
...
Santiago Ramon y Cajal est un neurophysiologiste espagnol
né en 1852, mort en 1934, Prix Nobel de physiologie
en 1906 pour ses travaux mettant en évidence les neurones
comme entités cellulaires séparées. Il
préconise une discontinuité de l'influx nerveux
entre les cellules et s'oppose ainsi à son confrère
Golgi, biologiste italien qui partage avec lui le Prix Nobel,
celui-ci optant pour une continuité de l'influx nerveux.
C'est sous ce double rapport de continu/discontinu que s'élabore
le travail de Shiriey Carcassonne s'appuyant sur la graphie
exacte des cellules du cortex cérébral révélée
par la méthode mise au point par Golgi ou plus récemment
mise à jour par les découvertes de Jean-Pierre
Changeux.
Les arborescences, les réseaux, les imbrications,
les flux, les ruptures, sont des termes qui illustrent les
notions étudiées par les savants et qui appartiennent
aussi au vocabulaire des artistes. Cela montre, bien que les
objectifs soient apparemment opposés - chacun pensant
par habitude, par romantisme ou par paresse mentale que l'art
et les sciences sont inconciliables - que des rencontres sont
possibles, plus même, que la recherche, qu'elle soit
rationnelle, scientifique ou artistique, prend sa source et
ses appuis sur des notions fondamentales qui régissent
tout l'univers qui dans la pensée chinoise n'est que
flux, mouvement, écoulement... Et sans doute n'est-ce
pas un hasard si les peintures de Shirley Carcassonne évoquent
dans leur graphie quelque peinture chinoise.
Les toiles libres de Shirley Carcassonne font sortir du
champ strictement scientifique des graphismes qui combinés
à des flux colorés, évoquent aussi bien
un monde végétal que minéral, un univers
organique où le mouvement est toujours présent.
Le jeu des correspondances peut s'y décliner à
l'infini. L'infini, le « non-fini », y est suggéré
par la toile libre. Non contrainte par un cadre ou un châssis,
la toile joue d'ambiguïté avec le tissu, sans
doute pour nous rappeler le tissu humain, objet des recherches
scientifiques des savants sous le regard desquels notre artiste
se place. Le tissu humain, cette peau que Léonard de
Vinci appelait « vêture du sens » est, comme
le rappelait Paul Valéry « ce qu'il y a de plus
profond dans l'être ».
Voici rassemblés deux figures tutélaires,
un peintre, (qui par ailleurs était un savant), et
un poète qui traitent l'un et l'autre de la surface
et nous renvoient à la profondeur.
Un poète, un peintre, un savant comme aime à
les rassembler autour d'elle Shirley Carcassonne. Son parcours
lui a donné l'occasion de rencontrer de grands poètes
et savants de notre temps, en particulier le célèbre
professeur au Collège de France, le neurobiologiste
Jean-Pierre Changeux qui allie à sa recherche une pratique
de la musique et se passionne pour la peinture. Ces rencontres
si importantes pour Shirley Carcassonne pourraient être
comparées aux influx dans le système nerveux.
Influx et influence ont la même racine, ce sont donc
les rencontres qui nourrissent la vie et l'œuvre construite
jour après jour comme un témoignage de l'identité
des recherches, ou plus exactement comme une complémentarité
de recherches en quête de l'être.
Maurice Maillard
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