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Voulez-vous retrouver la fine activité du trait, le
flux particulier de couleurs mystérieuses tandis que
s'épanchent la grâce et le dynamisme quasi-rupestre
des oeuvres ?
Voyez Shirley Carcassonne et ses êtres transfigurés
par le mouvement, aux poses saisies en plein essor afin de
mieux encore contrôler le rythme et l'élégance,
avec un plus de mystère et de vie offert aux corps
et à la réalité.
En effet, l'épopée des espaces et des éléments
bouleverse la vision que l'on ressent de ces secrets et l'artiste
sait néanmoins les animer en émotion et en poésie
sous un pinceau guidé audacieusement par une valeur
spirituelle peu ordinaire qui ne craint jamais de heurter,
bouleverser pour oser et imposer une mystérieuse beauté
digne des efforts les plus captivants que dispense une nature
toujours secrète tout en demeurant suggestive.
Ainsi, Shirley Carcassonne tisse-t-elle sa saga décorative
et envoûtante en certains motifs réels qui en
ressortent ainsi métamorphosés, et d'autant
plus inquiétants qu'ils se fondent dans une virtuosité
graphique et un talent de coloriste, grâce à
la contexture bien particulière des encres de Chine.
André
Ruellan, critique d'Art

Shirley Carcassonne
Si certains d'entre nous voient dans la science et l'art
des domaines irréconciliables, cet absurde préjugé
ne tient guère face au champ expérimental que
nous ouvre Shirley Carcassonne. Anesthésiste de formation,
elle pratique le dessin comme un prolongement palpable de
son approche du corps humain. Virtuose de la plume et amateur
de papiers précieux, elle ne paraît pas éloignée
des lettrés calligraphes orientaux pour qui toute trace
écrite est la condensation d'une sensation, d'une pensée
tournoyante ou d'un fragile instant de grâce. Son art
vient puiser dans le réel pour en extirper la note
subtile, en exprimer l'énigme, l'inflexion spirituelle.
Car pour quiconque fait preuve de l'humilité nécessaire,
la vie demeure mystère, interminable questionnement,
matière même d'un champ poétique ouvertement
inépuisable.
En parcourant à pas feutrés les dessins à
l'encre ou au crayon de Shirley, qui quelquefois ressemblent
à des cahiers intimes, tant ils exigent d'être
observés avec tout le recueillement nécessaire,
on est frappé par la légèreté
de ses formes presque toujours en mouvement et quelque peu
fantomatiques. Si ces figures vivantes conservent un aspect
organique - on pense à des réseaux de muscles,
à des faisceaux de nerfs, des ramifications arborescentes
- elles paraissent toute soumises à une volonté
indomptable et portées à l'autonomie, à
l'élévation sans limites vers des sphères
indéfinissables. Salué par de grands poètes
et d'éminents scientifiques, l'œuvre sur papier
de Shirley ne cesse de vous prendre de court. On sent que
quelque chose d'essentiel s'y déroule, s'y développe,
tel un écheveau libre de toute entrave. C'est la crinière
d'une cavale galopant sur une lande venteuse, une apparition
fugitive. Tout n'y tient qu'à un fil dont la tension
pourrait rapidement conduire à la rupture et à
l'envol irrémédiable de cette pensée
furtive et ondoyante.
Voici ce qu'en a dit Mandiargues : « Consciente du
trait, elle l'est, oui, si démesurément que
ses vagues de formes finement tracées déferlent
devant nous comme celles d'une mer agitée sur une plage
unie, et qu'elles nous fascinent en nous étourdissant.
» Claude Roy fut, lui aussi, fasciné par la contexture
des travaux de Shirley : « L'univers « fantastique
» de cette folle de dessin a la même rigueur,
dans le tracé nerveux de ses nervures, que les mouvements
flexueux des algues, que l'étoilement des lamelles
de champignons, que les striures de l'agate ou de la cornaline,
que le réseau cellulaire des feuilles de fougère
ou que le tissu des muqueuses vivantes. » Ajoutons qu'elles
nous font songer aux synapses, ces fibres neuronales qui déterminent
une certaine part de notre fonctionnement. Il n'est pas étonnant
que le neurologue Jean-Pierre Fangeux se soit intéressé
de près à la recherche de Shirley. « L'artiste
ne figure pas le réel, a-t-il écrit, il figure
ce qu'il se représente être le réel cérébral
»....« Shirley Carcassonne, dans un combat sans
cesse renouvelé, commente-t-il, tente de concilier
par l'inspiration, de « mettre en harmonie »,
l'expérience individuelle du plaisir subjectif de l'image
et les exigences de la raison. Le tableau n'est pas seulement
représentation de chimères mais construction
imagée, fidèle à Vexemplum, propice à
une communication intersubjective efficace qui rencontre les
« intentions » du spectateur. »
Pour autant, l'art de Shirley, qui peint également
sur de grandes surfaces textiles, ne saurait se limiter à
une vision métaphysique et éthérée
du monde. C'est une pratique gourmande, sensuelle qui n'est
pas sans rappeler une certaine approche culinaire et partant
érotique. Ses courbes géodésiques ont
la saveur d'un sein tendu sous le soleil.
Luis PORQUET, Février 2005
[English Version]
If some of us look upon science and art as irreconcilable
disciplines, this absurd prejudice is unable to hold its own
when confronted by the experimental field Shirley Carcassonne
opens for us. An anaesthetist by training, she practices drawing
as a palpable extension of her approach to the human body.
A virtuoso of the pen and enthusiast of precious papers, she
does not seem to be far removed from the literate calligraphers
of the Orient for whom all written lines are the condensation
of a sensation, a whirling thought or a fragile instant of
grace. Her art is drawn from the real, extracting from it
a subtle note, to express an enigmatic F, a spiritual inflection.
Because for anyone who is sufficiently humble, life remains
a mystery, an endless questioning, the very substance of a
poetic field that is overtly inexhaustible.
In perusing tranquilly the ink or pencil drawings of Shirley,
which sometimes resemble intimate notebooks, demanding to
be observed with all the quiet contemplation necessary, one
is struck by the lightness of her forms, nearly always in
movement and slightly ghostlike. Although these living figures
retain an organic aspect – resembling networks of muscles,
fascicules of nerves, or arborescent ramifications –
they seem to be entirely subjected to an indomitable determination
focused on autonomy, on an unlimited elevation towards indefinable
spheres. Praised by leading poets and eminent scientists,
Shirley’s work on paper invariably catches the viewer
unaware. One feels something essential happening, developing,
like a skein unravelling because it is free from all constraint,
like the mane of a horse galloping across a windy moor, a
fugitive apparition. Everything is held together by a string,
and if it becomes too tense, it could break, leading to the
irreparable flight of this furtive and undulating thought.
Luis PORQUET, February 2005
[Deutsche Version]
Wenn manch einer von uns meint, Wissenschaft und Kunst seien
zwei unvereinbare Bereiche, so ließe sich dieses absurde
Vorurteil angesichts des experimentalen Feldes, das uns Shirley
Carcassonne öffnet, kaum halten. Die gelernte Narkoseärztin
praktiziert das Zeichnen wie eine greifbare Verlängerung
ihrer Annäherung an den menschlichen Körper. Diese
Virtuosin der Feder und Liebhaberin von Kunstpapier scheint
nicht weit von den orientalischen Kalligraphien entfernt zu
sein, für die jede Schriftspur die Kondensation einer
Empfindung, eines kreisenden Gedankens oder eines zerbrechlichen
Augenblicks der Anmut ist. Ihre Kunst schöpft aus der
realen Welt, um eine subtile Note aus ihr hervorzuholen, um
ihre Rätselhaftigkeit und geistige Biegung auszudrücken.
Denn für jeden, der die notwendige Demut verspürt,
bleibt das Leben ein Mysterium, eine ewige Fragestellung,
ja Stoff für ein offenes und unerschöpfliches Feld
der Poesie.
Wenn man mit gedämpften Schritten die Tinten- oder
Bleistiftzeichnungen Shirleys durchwandert, denen manchmal
Allüren von Tagebüchern anhaften, sosehr erfordert
ihre Betrachtung ein Insichgehen, ist man von der Leichtigkeit
ihrer fast immer in Bewegung befindlichen und ein wenig geisterhaften
Formen frappiert. Diese lebendigen Gesichter bewahren zwar
einen organischen Aspekt – man denkt an Muskelnetze,
Nervenbündel, baumartige Verzweigungen – doch scheint
ihnen allen ein unbezwingbarer Willen anzuhaften, der ihnen
Unabhängigkeit und eine grenzenlose Erhöhung in
undefinierbare Sphären verleiht. Shirleys Werk auf Papier,
das von großen Dichtern und prominenten Wissenschaftlern
begrüßt wird, verblüfft ohne Unterlass. Man
spürt, dass sich etwas Wesentliches darin abspielt, dass
darin etwas entsteht, wie ein Faden, der sich von alleine
spinnt. Die Mähne eines Pferdes, das über eine windige
Heide galoppiert - eine flüchtige Erscheinung. Alles
darin hängt an einem seidenen Faden, der so gespannt
ist, dass er schnell zerreißen und zum unwiderruflichen
Verschwinden dieses verstohlenen und wehenden Gedankens führen
könnte.
Luis PORQUET, Februar 2005
[Versión española]
Si algunos de vosotros veis al arte y a la ciencia como dos
dominios irreconciliables, este prejuicio absurdo no tiene
cabida en el campo experimental que nos abre Shirley Carcassonne.
Anestesista de formación, practica el dibujo como una
prolongación palpable de su acercamiento al cuerpo
humano. Virtuosa de la pluma y aficionada a los papeles preciosos,
no parece estar muy lejos de los letrados calígrafos
orientales para los que cada trazo escrito representa la expresión
de una sensación, de un pensamiento vortiginoso o de
un frágil instante de gracia. Su arte llega para explorar
la realidad extirpándole la nota sutil, para expresar
el enigma, la inflexión espiritual. Ya que para quienquiera
que de prueba de la humildad necesaria, la vida continúa
siendo un misterio, un interminable cuestionamiento, fuente
de un campo poético abiertamente inextinguible. Al
recorrer discretamente los dibujos de tinta o de lápiz
de Shirley, los que algunas veces parecen ser de cuadernos
íntimos, tanto así que exigen ser observados
con todo el recogimiento necesario, asombra la ligereza de
sus formas casi siempre en movimiento y levemente espectral.
Si estas figuras vivas poseen un aspecto orgánico,
podemos pensar en tejidos musculares, en manojos de nervios,
en ramificaciones arborescentes, todas ellas parecen estar
sometidas a una voluntad indomable y provistas de autonomía,
elevadas sin restricciones hacia esferas indefinibles. Aclamada
por grandes poetas y científicos connotados, la obra
sobre papel de Shirley no cesa de sorprender. Se siente que
algo esencial en su obra se despliega, se desarrolla, como
una madeja libre de cualquier traba. Son crines de un corcel
galopando en una llanura ventosa, una aparición fugitiva.
Todo cuelga de un hilo cuya tensión podría rápidamente
conducir a la ruptura y al surgimiento irremediable de este
pensamiento furtivo y cambiante.
Luis PORQUET, Febrero 2005
[Versione italiana]
Se alcuni di noi vedono nella scienza e nell’arte due
discipline inconciliabili, questo assurdo pregiudizio viene
meno di fronte al campo sperimentale in cui ci conduce Shirley
Carcassonne. Di professione anestesista, concepisce il disegno
come un prolungamento palpabile del suo approccio al corpo
umano. Virtuosa del pennino e amante delle carte preziose,
non sembra lontana dalle lettere calligrafiche orientali in
cui qualsiasi traccia scritta è la sintesi di una sensazione,
di un pensiero vorticoso o di un fragile momento di grazia.
La sua arte attinge dal reale per estirparne la nota sottile,
esprimendone l’enigma, l’inflessione spirituale.
Perché per chiunque faccia prova dell’umiltà
necessaria, la vita rimane mistero, interminabile interrogarsi,
materia stessa di un campo poetico apertamente inesauribile.
Percorrendo a passi felpati i disegni a inchiostro o a matita
di Shirley, che talvolta assomigliano a quaderni intimi, tanto
esigono di essere osservati con tutto il raccoglimento necessario,
si è colpiti dalla leggerezza delle sue forme quasi
sempre in movimento e un po’ fantomatiche. Se queste
figure viventi conservano un aspetto organico – si pensi
agli intrecci di muscoli, alle fasce di nervi, ramificazioni
arborescenti – appaiono completamente sottomesse ad
una volontà indomabile e portate all’autonomia,
all’elevazione senza limiti verso sfere indefinibili.
Salutata da grandi poeti ed eminenti scienziati, l’opera
su carta di Shirley non cessa di sorprendere. Si avverte che
qualcosa di essenziale vi si svolge e si sviluppa, come un
groviglio privo di qualsiasi ostacolo. È la criniera
di una giumenta che galoppa su una landa ventosa, un’apparizione
fuggente. Tutto è appeso ad un filo, la cui tensione
potrebbe condurre rapidamente alla rottura e al librarsi irrimediabile
di questo pensiero furtivo e fluttuante.
Luis PORQUET, Febbraio 2005

[...] Shirley Carcassonne, dans un combat sans cesse renouvelé,
tente de concilier par l’inspiration, de « mettre
en harmonie », l’expérience individuelle
du plaisir subjectif de l’image et les exigences de
la raison. Le tableau n’est pas seulement représentation
de chimères mais construction imagée, fidèle
à l’exemplum, propice à une communication
intersubjective efficace qui rencontre les « intentions
» du spectateur. [...]
Jean-Pierre CHANGEUX

c'est que l'on pourrait toujours y marcher comme si volant
nous ne pourrions pas être voyant et que tant que nous
aurons des yeux au-dessous ce sera toujours solide et c'est
que nous ne pourrons pas nous soulever dans l'espace sans
emporter le globe avec nous comme si nos yeux portaient la
terre avec eux et qu'ils la projetaient tout autour du feu
c'est ainsi que la lumière qu'ils faisaient naître
effaçait toute trace de sa rotation dans le ciel et
que la main voyante traçait toujours des marques intouchables
comme s'il y avait ici le dessin du dessin ce qu'il était
une fois que l'on avait fermé les yeux comme si l'insaisissable
était représenté par l'insaisissable
et que nous nous trouvions là devant quelque chose
qui semblait toujours nous emplir les mains mais que tout
s'échappait entre nos doigts et qu'il ne nous en restait
jamais que la sensation d'une fuite comme si seuls les yeux
ouverts avaient pu tracer ici ce que l'on voyait et que les
fermant tout se refermait en eux et que nous avions l'impression
que tout avait été dessiné dans nos yeux
et qu'il suffisait de les ouvrir pour tout projeter devant
nous n'importe où jusqu'à rendre pénétrable
toute surface que l'on éclairait et que l'on ne sache
plus si le feu l'avait brûlé ou si nos yeux l'avaient
troué comme si nous étions ici en présence
d'un miroir que nos yeux n'arriveraient plus à traverser
sans que notre corps y passe tout entier comme à travers
une vitre qui aurait pourfond la nuit et qui serait invisible.
Jean Luc PARANT

La main qui mène et commande le geste. La plume qui
se gorge d'encre de Chine, brune, rouée, violette,
bleue, verte, peu importe. Le papier qui reçoit la
décharge de l'écrit, du signe, cette multitude
de potites lignes serrées les unes contre les autres,
répétitive jusqu'à l'obessessionnel,
sans pour autant êre identiques. Des lignes qui ne cèdent
jamais à la tentation de la droite, trop dure et trop
sèche pour ce qui se murmure là, mais s'épanouissent
au contraire en vagues Mouvantes, dans l'arrondi, la boucle,
l'arc de cercle et la spirale. A regarder les dessins de Shirley
Carcassonne, nous savons tout de suite que le sujet privilégié
de cette oeuvre qui n'est encore que trop coufidentielle,
est le ou les corps. Corps de l'une, corps de l'autre, sexe
de l'un, sexe de l'autre, corps du dehors et de l'apparence
des choses, corps du dedans et du plaisir des sens, sexe d'un
instant de vie, sexe d'un instant de mort. Ce qui s'inscrit
ici est de l'ordre des froissements, des frémissements,
des affleurements et des affolements, des désirs et
des emportements. De feuille en feuilles, de page en pages,
comme dans un livre d'heures, Shirley Carcassonne, face aux
vertiges incessants provoqués par la surface vierge
du papier à investir, livre les images et les délires
assumés de ses déchirures comme de ses fascinations.
L'usage exclusif de l'encre de Chine, et le coup de plune
affirmé en son début, incertain lorsqu'il s'épuise
et nécessite la recharge, ne permettent pas le moindre
repentir. Il faut pour Shirley Carcassonne vaincre d'emblée
ou renoncer. Il faut aussi savoir ménager le sombre
et le clair, le dit et le non dit, l'affirmé et le
caché. Il faut encore amener le regard à circuler
depuis les bords de la feuille le long d'un pied ou d'une
jambe à peine esquissés, ou au fil de ces liens
qui les enserrent, les entravent et les attachent les uns
aux autres, jusqu'à ces masses plus denses, plus ombrées,
plus fouillées qui semblent ne pouvoir vivre et vibrer
que dans leurs méandres labyrinthiques. Là,
l'oeil dérive entre envers et endroit, dedans et dehors,
entre formes phialliques et plissements tourbillonants, cavités
incertaines et repliements sur un intérieur qui sembble
s'entrouvrir, se laisser pénétrer, affleur pour
se dérober dans l'instant.
L'imaginaire d'une femme, libre de toutes contraintes, fait
surgir dans la surface lumineuse du support, les états
d'un coeur et d'un corps qui acceptent totalement de se laisser
mener par l'inconscient. Sondant les zones secrètes
les plus reculeés, multipliant les détails lisibles
ou illisibles, selon des mécanismes d'alignements,
de déplacements, de superpositions, de glissements,
Shirley Carcassonne puise à même "l'expérience
corporelle", cette "anatomie de l'amour", dont
parlait Hans Bellmer, qui tend à détruire "les
contradictions du de hors et du dedans". Ainsi le développement
graphique met en espace rninutieusement cernées des
jambes dont le balancement et les écarts semblent avoir
été réglés par une chorégraphie
des plus précises, des phallus dressés et les
mains qui les accompagnent, des enchevêtrements de tissus
froissés, de nervures repliées, de muqueuses
parcourues d'ondes galopantes, des arborescences incertaines
animées par les frissons du vent, ou plus loin, comme
pour égarer nos certitudes, des marques de craquelement,
des lézardes a peine visibles, qui semblent telles
une déchirure secrète menacer l'édifice
tout entier. Le tout émergeant par endroit, se dissimulant
par ailleurs sous d'amples drapés dont on ne sait pas
très bien s'ils appartiennent au domaine du monde végétal,
ou à celui de l'univers marin, ou s'ils ne sont pas
plus simplement, des lambeaux largement déployés
de ce qui noua couvre et nous découvre à la
fois, à savoir la peau.
En perpétuelles métarmorphoses, comme les mouvements
incessants, les mutations incontrôlées, les rythnes
dynamiques qui les animent, étaient la raison même
de leur apparition à fleur de papier, les constructions
anatomiques de Shirley Carcassonne se donnent àlire
en tant que visions de l'ensemble des des agissements sexuels
du corps perçus de l'extérieur, mais aussi en
tant que multiplicité des sensations qui concernent
ce même corps, vécues de l'intérieur.
En gommant sous la foultitude de ses hachures et de ses traits
minuscules l'allusion purement objective de ses formes, en
soustrayant ces mêmes formes à une lecture qui
ne sertait qu'immédiate, l'artiste arrive à
une sorte d'invention organique qui livre les images troubles
et troublantes d'un discours qui se veut àla fois interrogation
sur les forces de vie et interrogation sur les forces de mort.
"Et si la mort était extase ?" dit Shirley
Carcassonne dans le titre d'un ensemble de ses dessins.
Partant du réel, c'est à dire de sa propre
expérience de la réalité, qu'il s'agisse
des cheminements latents de son corps dans l'acte d'amour,
ou du surgissement da ses rêves et de ses fantasmes
les plus enfouis, errant sans cesse dans ce domaine dont Paul
Klee disait qu'il était "la région élémentaire
de l'improvisation psychique", Shirley Carcassonne, d'un
geste qui transforme, change en signe et fait trace tout un
ensemble de gestes antérieurs, prolonge les uns et
les autres dans l'acte de dessiner ou d'écrire. L'usage
de la plume et de l'encre, permet de glisser volontairement
d'une terminologie à l'autre. Ce faisant, elle établit
une sorte de "langage en abîme", où
se retrouvent paniques et jouissances, douleurs et plaisirs
qui se fondent en un foisonnement organique, s'affirment en
tant qu'oeuvre de peintre sûrement, mais tout autant
en tant qu'oeuvre de poête, et de poête au féminin.
Maïten Bouisset
Novembre 1982
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